Clara Abi Nader's profile

L'autoportrait au poisson

L’un s'en va, disparait pour longtemps.
L’autre est là, sans pour autant.
Tourments. Tourmentés. Mon passé, mes pensées. Ça se résume en un seul mot.
Tourments. Tourbillons. Tournesols. Tourlaque.
Qu’est-ce que je fais. Où est-ce que je vais. Qu’est-ce que je veux. Qu’est-ce que je supplie.
Parce que oui je supplie.
Je crève l’attention. Je crève la chaleur. Je crève le soleil et ses caresses.
Je crève la douceur. Je crève dans ma tristesse.
Seule dans mon supplice, fatiguée de tous les caprices.
Je crève de solitude. J’ai mal de mon incertitude.

Tourments. Tourbillons. Tournesols. Tourlaque. La rue Tourlaque.
Pourquoi se compliquer la vie. Simple. Restons simple. Si juste on communiquait simplement. Comprendre ce que l’on veut. Comprendre ce à quoi l’on s’attend. Je ne sais pas. Je ne sais plus. Ce que je veux. Ce qu’on me veut.
Que voulez-vous ? 
C’est comme si une partie du chapitre est close.
Ses affaires ne sont plus là. Dans un mois je dois déménager.
Encore faut-il trouver un autre toit pour me loger.
C’est comme si une partie du chapitre est close. Ça me rend triste. Triste et sans expression.
Neutre, dépourvue d’émotions. Sourire, j’en ai perdu la notion.
C’est une partie du chapitre qui est close. Six mois déjà. Triste, ça me rend triste.
Jour 1. Disparaitre.
Vais-je jamais sortir d’ici ? Quitter, redécouvrirle monde extérieur ? À quoi bon ?
C’est si bien d’être là, dedans, àl’abri. Te découvrant à toi. Me réincarnant en toi. Cela semble tellementpervers. Mais il n’y a rien de tel crois-moi. Je sortais de ton lit. Non tu n’es pas là. Arsène lui, ilm’attendait.
Il a surement faim. Je pris mon petit déjeuner avec lui, assise àta place, sur ta chaise,
entre le radiateur et Arsène tout là-haut. Tu as faim ? Ilme regardait. Préférait ne pas parler.
Parler c’est dire n’importe quoi, des bêtises.Et puis surtout. Surtout briser le silence qui règne.
Rien n’était plus beau que ce moment-là.

Jour 2.
Le soir d’avant je m’étais vraiment incarnée en ta personne.
J’ai pris mes repères, tes habitudes. Je me déplaçais suivant tes pas. Doucement. Calmement. Délicatement. J’avais faim. Je sortis alors. A la recherche de ton restaurant chinois. Elle était là, au rendez-vous du soir.
Elle dinait, elle se leva à mon entrée et attendit ma commande, me souriant.
Je remontais, posais mon festin à table, pris une assiette, une fourchette et m’assis.
Arsène tournait en rond, attendant son tour.
Mais non mon chéri je ne t’ai pas oublié.
On dinait ensemble, Arsène et moi. Arsène et toi. A travers moi.
Il ne disait pas grand-chose. Moi non plus d’ailleurs.

Rien n’était plus beau que ce moment-là.

À mon second matin chez toi. J’ouvrais ta fenêtre, tes volets.
Elle était debout en face, regardant la rue, observant la vie d’en haut. Je souris et la laissai dans son monde.
Je jouais ta musique, pensant à ce que tu écouterais à ton réveil. Du classique, et je préparais mon café.
Ou étais-tu. Que faisais-tu. Une étrangère chez toi, sans nouvelles de toi.
Libre de mes pas. Libre de mes états.
Nue ou presque, je marchais dans ton chez toi. A la recherche. A la découverte de toi.
De ta chaise, je l’observais.
Tourner en rond, flânant, de la surface jusqu’au fond.
C’était petit. Bien petit pour un être comme lui.

Je n’avais pas le temps aujourd’hui de m’assoir et de me prélasser.
Jour 3.
La veille je suis rentrée. Lui m’attendait, aussi silencieux que lorsque je l’ai quitté.
Qu’est-ce que j'allais bien faire aujourd’hui.
Par la fenêtre j’observais la rue, la douce vie qui allait. Douce vie ? Quelle douce vie.
Le 60 s’arrêtait, repartait. Les voitures roulaient. Le feu tournait au rouge. Les passants traversaient.
Elle m'a vue. M’a dénoncée. Dans ma chemise, ma mi-nudité.
De mon poste à la fenêtre on s’est saluées, avec un hochement de tête, puis les rideaux je refermais.
Il est temps de prendre mon café.

Rien n’était plus beau que ce moment-là.

La lumière douce, l’eau qui coule, lui qui tourne en rond, l’eau qui bout.
L’odeur du café. Ma tasse que je remplis, sur ma chaise, je fermais les yeux.
Souffler. Respire. Inspire. Insuffler.
Un peu de silence pour mon âme. De calme.
De présence. D’absence.
De sourires forcés. De larmes versées, de larmes séchées.
« Je n’arrive pas aimer les hommes. J’ai fait des progrès, avant je n’aimais pas les gens. » Catherine Pancol
Jour 4.
Je sombrais dans mon livre. C’était elle. Elle me suit même jusqu’à Paris.
Je devais le lire. Obligée. Un devoir. Un devoir exquis.
De lire ses mots. De dire ses mots. A voix haute et briser le silence par sa fureur, ses tourments.
Tourments. Tourbillons. Tournesols. Tourlaque. La rue Tourlaque. Vous la connaissez ?
Toujours au même endroit. A la même heure. Je ne peux changer maintenant.
Les repères. Ma routine. Je ne peux quitter maintenant.
Ces ruelles, ces pavés, ces fenêtres, ces volets. Non, je ne peux m’en aller.
Jour 5.
Entre Rohmer et ses contes, Pancol et ses règlements de comptes.
Je m’enfermais. Je me refermais. Dans mon antre. Mon abri.
Ma porte dont moi seule possédait les clés. Serait-ce mon dernier soir ici ?
Non, non.
Entre la cuisine et la salle de bain, je faisais le peu de rangement que je pouvais sans pour autant toucher aux choses. Ces choses. Tes choses. Tout ce que tu as accumulé depuis ton arrivée ici.
Tes habits, ton lit. Je méditais sur l’origine de ma présence chez toi.
Jour 6.
Les heures étaient comptées à présent. Les images bien captées dans ma conscience.
J’essayais de tout refouler et laisser à mon inconscience.
A ce moment-là, je ne pensais qu’à demain. A après.
A quand je te remettrais tes clés, à quand je reviendrais chez toi passer mes matinées. Ce soir-là je dessinais. Enfin. Ta fenêtre et celle de ta cuisine. Le petit coin de la table et la chaise.
L’endroit ultime, pour s'asseoir et cogiter. Cogiter silencieusement, en paix.
Lui laisser la parole à lui, l’écouter.
Cette nuit-là, il n’a pas dormi. Moi non plus d’ailleurs.
Bien trop pensive, pour laisser les rêves combler mon manque de gourmandise.

À mon dernier matin, fatiguée, triste et déconnectée.
Une tulipe ou deux, j’aurais voulu te laisser, sur la petite table près de ton courrier, tes clés. Disparaitre. Transparaitre pour quelques temps, te remercier.
Et disparaitre. Laissant un peu de mon âme entre tes murs, tes portes, ton lit et tes draps.

« Si ce n’est pas grâce à ce soir-là, on ne serait pas en train de diner ce soir. »
 20-02-2012 - Lundi
A son odeur qu’il m’insuffle par bouchées,
à ses doigts pour quelques secondes effleurer,
à son sourire le temps d’un regard admirer.
Me voilà seule.
Il s’est envolé.
L'autoportrait au poisson
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L'autoportrait au poisson

Stranger in an apartment.

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