Paru dans Espaces contemporains
Avril 2013
Grisélidis Réal

Métamorphosé en hôtel, le Centre d’art contemporain de Genève présente les œuvres d’une quinzaine de jeunes artistes suisse mêlés à des objets hors catégorie.


« Hotel Abisso » est la première exposition programmée par Andrea Bellini nommé en septembre dernier à la direction du Centre d’art contemporain à Genève. En duo avec Thiphanie Blanc, commissaire d’exposition invitée, il a établi une liste de jeunes artistes suisses qui ont en commun de s’intéresser aux pratiques curatoriales. Ils ont pu échanger et mettre en commun leurs idées alors qu’ils ne se connaissaient pas pour la plupart. Ce décloisonnement a contribué à produire une dynamique forte. Un groupe dans le groupe, constitué de Josse Bailly, Jeanne Gillard & Nicolas Rivet, Aloïs Godinat, Kaiser Kraft, Renaud Loda, Ramay Tegegne ou Balthazar Lovay, a plus particulièrement imaginé les concepts.

Making of
A partir d’une première piste de réflexion, celle de l’Hotel Abisso, le groupe a passé au tamis toutes les possibilités. Cette idée d’un hôtel, avec des salles envisagées comme des chambres prend comme source une métaphore du philosophe György Lukács pour définir la philosophie d'Arthur Schopenhauer, vue comme une pensée élaborée à l'abri dans un palace au-dessus du néant. L’exposition s’est construite sur cette base au fur et à mesure, prenant sa forme définitive lors de l’accrochage. Finalement, les obsessions et inspirations des artistes sont présentées dans neuf chambres singulières.
Refusant de procéder de manière classique, Andrea Bellini a cherché à mettre en place les conditions d’une recherche collective plutôt qu’à élaborer un discours curatorial. Une stratégie qui comporte une part de risque puisque la recette garantissant une exposition « sans faute » consiste plutôt à définir une thématique pour relier les œuvres entre elles, sélectionner des artistes « cool » dont les noms se soufflent entre professionnels et, finalement, mettre en scène les œuvres dans les espaces pour illustrer le thème.

Chambres mixtes
Le résultat forme une proposition globale qui comporte une multitude de portes d’accès. L’histoire de Genève et de la Suisse est un des fils narrateur. Par exemple, dans la « Chambre 301 » les peintures de Grisélidis Réal, figure genevoise incontournable engagée politiquement, poétesse féministe et prostituée, sont présentées au mur, encadrées par un cadre lumineux projeté. Elles dialoguent avec une œuvre de Valentin Carron qui représentera la Suisse à la 55e Biennale de Venise. Il s’agit d’une  mobylette de marque Ciao disposée au centre de l’espace, un objet évocateur des premiers signes de liberté adolescente. Confronté aux peintures symbolistes de l’artiste outsider, l’objet prend un sens inhabituel. Il s’inscrit dans la continuité des ready made, un jalon irréfutable de l’histoire de l’art, mais,  dans un retournement inattendu, ce sont les œuvres de Grisélidis Réal,  classées dans la catégorie de l’art mineur, qui sont sacralisées. Dans la « Chambre 201 » ce système d’inversion est reconduit. Des objets artisanaux sont présentés avec le même statut que les œuvres d’art, comme par exemple le Panneau de balustrade en fer forgé qui servait à orner les demeures de la Vieille ville, ou encore la Machine à diviser linéaire conçue et produite dans les locaux industriels dans lesquels le Centre d’art contemporain est installé depuis 1989.
Cette volonté de dépasser les catégories culturelles, qui ont jusque là marqué l’histoire des productions culturelles, est un enjeu émergeant. Le Musée Reina Sofia à Madrid fait dialoguer dans ses salles des extraits de films d’Alfred Hitchcock avec de l’art minimal, la dernière édition de la Documenta relativisait l’anthropocentrisme pour tenir compte de réalités sub-humaines comme celles minérales ou végétales, ou encore, la Chalet Society à Paris qui n’a pas hésité à présenter The Museum of Everything, une exposition d’art outsider, comme exposition inaugurale.

Vision dynamique
Ce printemps, Andrea Bellini donne ainsi les premiers jalons de sa vision d’un centre d’art. Soit, une plateforme ouverte, formé à partir des préoccupations des artistes plutôt que de l’offre et la demande, contextualisé en fonction de la situation géographique, de l’architecture et apte à présenter des formes culturelles multiples pour les mettre en relation avec les publics. Une position qui témoigne d’un regard critique face à un système refermé sur lui-même, retranché dans un monde d’idées ou de plus values, codifié à l’extrême  et réservé à ceux qui en détiennent les clefs. En s’éloignant de cette logique, Andréa Bellini semble renoncer à s’adresser en priorité aux élites économiques et intellectuelles. Conscient que les utopies des années soixante visant à créer des alternatives à un monde normatisé ont échoué, il semble concevoir les espaces culturels comme des lieux où des pistes restent encore à explorer pour fédérer un monde dynamique d’échanges, de vitalité et de transformations. Une vision vectrice d’espoir dans un monde qui penche vertigineusement vers les abysses aseptisées du cynisme.

Josiane Guilloud-Cavat
Hotel Abisso
Jusqu’au 5 mai 2013
Centre d’art contemporain, Genève
http://www.centre.ch
Jeanne Gillard et Nicolas Rivet, Soap Sculpture (L'éducation d'Émile), 2013.
Savons sculptés, 40x20x20cm. Courtesy des artistes. Photographie : Benjamin Hugard.
Vues de l'exposition Hotel Abisso, Centre d'art contemporain, Genève
Photographie : Annick Wetter
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Un compte rendu de l'exposition Hotel Abisso au Centre d'art contemporain à Genève

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