Publié dans Espaces contemporains 
Mars 2013
Un article sur les commissaires d'exposition suisse qui collaborent avec des prestigieuses structures internationales

En 1969, Harald Szeemann signe à la Kunsthalle de Berne « Quand les attitudes deviennent formes » qui le sanctifie comme le premier auteur d’une exposition. Depuis, les curateurs suisses ne cessent de se distinguer au niveau international.

La notion d’auteur d’exposition a émergé à la fin des années soixante avec l’apparition de structures de diffusions artistiques non  muséales, et la fonction de curateur, dans le domaine des arts plastiques, a pris son sens actuel. Elle désigne tout à la fois le conservateur en charge d’une collection muséale, et l’organisateur d’une exposition monographique, ou de groupe. Souvent historiens de l’art, ils posent sur la création artistique un regard scientifique, déterminent les problématiques d’expositions, opèrent des choix, assurent la visibilité médiatique, la médiation, motivent des partenaires, et mettent en espace les œuvres en partenariat avec les créateurs. De plus en plus fréquemment, les artistes eux-mêmes tiennent ce rôle le temps d’une exposition, ou pour la programmation de lieux indépendants dont ils ont la gestion comme c’est par exemple le cas à Genève avec la galerie Forde. Leur aptitude à établir des systèmes de correspondances singuliers, sans préoccupations chronologiques, ou historiques, aboutit souvent à des propositions immédiatement perceptibles. The Third Mind de Ugo Rondinone au Palais de Tokyo, Il Tempo del Postino, co-commissioné par Steven Parreno et Hans Ulrich Obrist, ou encore, The Uncanny de Mike Kelley, sont quelques exemples de ces expositions devenues légendaires. A l’inverse, les curateurs ne peuvent faire ponctuellement des œuvres d’art, certains toutefois développent des stratégies créatives dans leur vision du médium exposition qui leur vaut une reconnaissance internationale. Proportionnellement à la taille du pays, la Suisse en détient plusieurs qui ont choisi de déployer leur carrière ailleurs.


Caroline Bourgeois

La genevoise Caroline Bourgeois est en charge de la Collection François Pinault depuis cinq ans.  Selon les grandes lignes définies avec l’homme d’affaire passionné d’art contemporain, elle prospecte la scène artistique internationale pour repérer des artistes et des œuvres. Cette collection privée se développe selon des enjeux diffèrent de ceux d’une institutions puisque les choix sont dictés par la passion d’une seule personne, le temps de décision d’acquérir étant extrêmement rapide, la dimension historique inhérente à la collection même, et les moyens apparemment illimités. Auparavant directrice artistique pour Le Plateau, un centre d’art situé à Paris ou elle agissait en défricheur de talents, Caroline Bourgeois se consacre désormais à la mise en espace des plus prestigieuses pièces du marché de l’art. Dans deux bâtisses acquises spécifiquement pour la Collection François Pinault à Venise, le Palazzo Grassi et la Punta della Dogana, elle met en scène des parcours de visite destinés à un public de spécialistes éclairés, mais aussi de touristes, parfois primo visiteurs d’espaces d’art. Ses expositions, comme des montages cinématographiques, permettent une lecture des œuvres narratives avec des successions d’instants, les œuvres que l’on voit d’entrée de jeu étant essentielles pour que la visite génère des échos et des réminiscences. La collection s’engage aussi dans la production d’œuvres originales et montre, dans des expositions monographiques, les démarches détaillées d’artistes comme Tatiana Trouvé ou Julie Mehretu pour Eloge du doute, l’exposition présentée jusqu’en mars à la Punta.


Christophe Chérix

Christophe Cherix, ancien conservateur du Cabinet des Estampes du Musée d’art et d’histoire de Genève, dirige depuis 2007 la collection d'estampes du MOMA de New York qui comprend cinquante trois mille œuvres datant des années 1880 à nos jours, soit la collection d'estampes modernes et contemporaines, et livres illustrés, la plus complète du monde. Auteur de nombreux écrits sur l’art,  il a coécrit plusieurs ouvrages avec Lionel Bovier comme L’Irrésolution commune d’un engagement équivoque. 
Écart, Genève (1969 – 1982) co-édité par le Mamco et le Cabinet des Estampes. Dans un monde en permanente accélération sociale et technologique, Christophe Chérix considère la diffusion d’une idée dans le champ culturel tout aussi importante que sa production. Ainsi considéré, le rôle de la gravure dans le processus créatif des artistes est essentiel. Avec Print/Out en 2012, il mettait en espace les acquisitions faites par le département des estampes du Moma ces vingt dernières années.  En 2013, il organise en collaboration avec Kellie Jones Now Dig This ! une exposition qui explore la richesse et la complexité des créations réalisées par des membres de la communauté noire à Los Angeles au moment ou celle-ci montait en puissance dans les années soixante à quatre vingt. 


Bice Curiger

Bice Curiger est née à Zürich et a commissionné de nombreuses expositions, notamment pour la Kunsthaus. Dotée d’une connaissance approfondie de la scène artistique internationale et nationale, elle est fondatrice et rédactrice en chef de la revue Parkett. Plaçant les pratiques des artistes au cœur de ses concepts d’exposition, elle a progressivement acquis une reconnaissance internationale qui lui a valu, en 2011, la nomination à la direction artistique de la 54e édition de la Biennale de Venise. IllumiNATIONS rendait hommage au Tintoret, le grand Maître vénitien du XVIe siècle qui structurait ses grandes toiles d’effets de lumières artificielles saisissants et dont trois de ses chefs d’œuvres étaient mêlés aux œuvres actuelles. L’idée de nations, fondatrice de la biennale vénitienne qui depuis son ouverture en 1895 est articulée autour de pavillons nationaux, était également remise en question avec ce concept. Crystal of Resistance de Thomas Hirschhorn ou encore The Clock de Christian Marclay, étaient quelques uns des moments inoubliables de l’événement. L’été dernier,  Bice Curiger reprenant l’idée de dialogue entre des artistes d’aujourd’hui et du passé, a développé une exposition autour du baroque. Pour ce faire, en partant des artistes d’aujourd’hui, elle a tenté d’éclairer le passé et extrait une liste de préoccupations communes aux deux époques pour répartir sans chronologie les œuvres dans des salles correspondant à ces thématiques. Les notions d’omniprésence des catastrophes, de vitalité débordante,  ou encore un certain comique créait un lien entre des œuvres notamment de Diana Thater, Maurizio Cattelan, Urs Fischer, Paul Mac Carthy et celles de Hyacinthe Rigaud ou Francisco de Zurbarán par exemple. Une exposition qui sera remise en contexte dans une version augmentée au Musée Guggenheim de Bilbao au printemps prochain.  


Jean-Paul Felley et Olivier Kaeser

Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser ont été nommé à la co-direction du centre culturel suisse à Paris, après avoir fondé, puis dirigé l’association attitudes avec laquelle ils ont conçu et organisé des projets dans le domaine d’art contemporains à Genève, en Suisse et à l’étranger depuis 1994. Bien que l’espace d'exposition d'attitudes à Genève, soit devenu celui de la HEAD, la Haute école d'art et de design  de Genève sous le nom de Live in your Head, ils en gardent la direction et poursuivent des activités d’édition de livres et de commissariat d’expositions extra-muros. C’est en 1989 qu’ils ont réalisé leur première exposition en binôme, "Mario Botta. Construire les objets. Œuvre design 1982-1989" présentée à la Fondation Louis Moret à Martigny. Depuis, ils opèrent en duo, comme certains artistes à qui ils sont fidèles comme Peter Fischli et David Weiss, ce dernier étant subitement disparu l’an dernier, Gerda Steiner et Jörg Lenzlinger, ou encore Andres Lutz et Anders Guggisberg, à qui ils ont consacré la première exposition du CCS après en avoir pris la codirection en 2009. La programmation exigeante que Jean-Paul Felley & Olivier Kaeser développent comporte des moments d’échange, tels que des invitations, des projections, des colloques, des lectures, des tables rondes ou des concerts. Le Centre culturel suisse Paris forme ainsi un relai dynamique entre les scènes artistiques suisse et parisienne, et forme une plateforme ouverte aux artistes internationaux.


Hans Ulrich Obrist

Hans Ulrich Obrist né à Zurich en 1968 est aujourd'hui codirecteur des expositions et directeur des projets internationaux de la Serpentine Gallery à Londres. Il est l’un des curateurs les plus influents de la planète. Auparavant, il était commissaire pour l’art contemporain au musée d'Art moderne de la Ville de Paris jusqu'en 2005. Célèbre notamment pour l’impressionnante quantité d’entretiens qu’il a réalisé, son mode de travail premier est la discussion et l’échange. Captivé par les productions de notre temps, il s’intéresse également aux sciences et à l’architecture n’hésitant pas en s’aventurant hors de son domaine d’excellence. Sa mobilité, sa productivité, son aptitude à déceler dans les échanges ce qui n’a pas encore été fait, et sa capacité à s’associer pour des projets partagés font de lui un personnage original poussant à l’extrême les ressources des rencontres. Depuis 1991, il a organisé de nombreuses expositions individuelles et collectives. Parmi celles-ci « Do it » qui a popularisé des processus engagés dès la fin des années 1960 par des artistes minimalistes et conceptuels sous la forme d’expositions aisément reproductibles, ou encore « Il Tempo del Postino » ( Le Facteur Temps) dirigé avec l’artiste Philippe Parreno qui consistait à présenter des œuvres d’art qui se déroulaient sur une scène de théâtre, face à un public.


Marc Olivier Wahler

Marc-Olivier Wahler est philosophe analytique, historien de l’art, passionné de science fiction, co-fondateur du CAN, le Centre d’art Neuchâtel, ancien directeur à la fois du Swiss Institute de New York, puis du Palais de Tokyo. Il dirige depuis vingt ans des centres d’art et conçoit ses programmes d’expositions comme des mises en jeu de couches spatio temporelles en marge des catégories. Avec La Chalet Society,  il expérimente un nouveau type de structure. Comme un software, elle se veut mobile, souple, temporaire et réactive pour s’adapter à la création des artistes à un rythme plus rapide que celui des espaces d’art fixe. Dotée d’une identité forte, elle est à même de se métamorphoser selon les contextes et l’architecture. Installée pour 2013 dans une école désaffectée réaménagée, remise aux normes, et située à Paris dans le 7e arrondissement, La Chalet Society présente jusque fin février The Museum of Everything. Cette surprenante exposition ouverte durant la FIAC 2012 montre une extraordinaire collection de sept mille pièces en marge des courants historiques de l’art. Quelques unes ont été réalisées par des artistes bruts renommés comme Henry Darger et sont présentes dans les grandes collections, celle du Moma par exemple, alors que d’autres ont été créés par des inconnus. Les passionnants textes des cartels sont pour certains signés par des célébrités comme Annette Messager, Nick Cave ou Maurizio Cattelan. Marc-Olivier Wahler, convaincu que « Ce sont les marges qui font tenir les lignes », comme le disait déjà Jean-Luc Godard, opère ainsi des aller-retours entre la culture savante et populaire. Sur une collines de Los Angeles, il réalise cet hiver une exposition inspirée par les éléments manquants de  la série télévisée LOST (in L.A .) avec notamment des artistes comme Valentin Carron et Philippe Decrauzat. Une trilogie d’expositions, dont chaque volet correspondra à un des trois acte du tour de magie clef de l’ouvrage de Christopher Priest, Le Prestige, est en cours d’élaboration. Dès mars, le public pourra assister en direct aux processus de recherche de l’Atelier des testeurs qui succédera au Museum of Everything à Paris boulevard Raspail, avant que la bâtisse ne soient confiée l’été prochain à l’artiste américain, Jim Shaw.
Swiss Touch
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