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Qu'il partent !

Qu'ils partent !
Nuit du 18 novembre 2017
Xinjian, arrondissement de Daxing, banlieue sud de Pékin
Un incendie ravage une pension où logent des travailleurs migrants venus de l’intérieur du pays qui sont employés dans des ateliers textiles proches. Le bilan est de 19 morts et 8 blessés.
Le surlendemain du drame, les autorités invoquent des raisons de sécurité pour lancer dans toute la ville une grande campagne de 40 jours contre ce type de logements qui, prétendument, ne respectent pas les normes.
Sous peine d’être expulsées de force, des dizaines de milliers de familles aux revenus modestes ont de quelques heures à quelques jours à peine pour quitter leur logement où l’eau et l’électricité sont rapidement coupées. Dehors, la température est au-dessous de zéro et très vite les engins de terrassement commencent à raser habitations, commerces, écoles et ateliers.
Cette série prise quelques jours quelques jours après que les travailleurs migrants eurent été chassés de leur logement témoigne de la violence de ces évictions et des démolitions qui suivirent. Depuis l'obtention en 2001 des JO de 2008, Pékin est devenu un grand palimpseste urbain et il est à craindre que l'obtention des jeux d'hiver de 2022 ne fasse qu'amplifier les vagues de destruction des quartiers les plus pauvres car Pékin ne cesse de courir après sa modernité et la présence de tant de petites gens venues d'autres provinces altère, aux yeux des élites, son image de capitale développée. Mais face à la brutalité des expulsions de Daxing qui ont réduit en miette tant de vies en quelques heures en plein hiver, c'est un sentiment de révulsion qui nous saisit. Un dégoût immense qui interroge immanquablement sur le processus qui a abouti à une telle décision d'une rare violence. Le rôle du photographe devient alors politique : porter témoignage afin de rendre visible ceux qui sont devenus invisibles, redonner de la voix à ceux qui en sont privés.
Mais quand le photographe arrive sur place, la destruction implacable est déjà à l'œuvre depuis plusieurs jours dans le vacarme assourdissant des pelleteuses qui abattent et broient tout sur leur passage. Dans les rues qui subsistent encore, il n'est plus possible de voir les visages tirés de ceux qui d'un coup ont perdu logement et emploi et qui ignoraient encore, au moment de leur départ, où aller dans la froidure hivernale ; on ne voit pas non plus les silhouettes pliées sous les paquetages faits à la hâte pour sauver un maigre essentiel. Tous ceux-là sont déjà partis dès les premières heures de cette grande campagne qui doit redonner tout son lustre à la capitale. Leur histoire ne s'écrit plus désormais dans celle de cette ville. À présent, les rues sont vides et leurs accès contrôlés. Ce que la photographie capte alors ce sont les stigmates de la violence des autorités vis-à-vis de ces migrants de l'intérieur chassés soudainement sans aucune considération pour l'apport qui fut le leur dans le développement économique de la cité.
C'est donc l'histoire telle que pourraient la raconter les autorités que cette série a choisi de faire entendre avec un ton grinçant. Et d'un coup, découvrant le discours qui sous-tend cette histoire, le spectateur comprend que lui aussi à de grandes chances, un jour, de devenir migrant à son tour car ce qui est arrivé là n'est pas l'apanage de la Chine.

Avr. 2018
Qu'il partent !
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