Guy Thouvignon's profile

A la recherche de l'été perdu

A la recherche de l’été perdu…
L’Ile du Levant est une utopie. On y vit nu, en toute simplicité, dans la bienveillance et l’harmonie. Les seuls dieux que l’on adore sont la nature, la mer, et le soleil. On y est posé en équilibre sur un bout de rocher sortant de Méditerranée. Cette idée un peu folle d’une île naturiste ouverte à tous et durablement installée sur ces quelques hectares au large de Hyères est devenue aujourd’hui une histoire absolument singulière de plus de 80 ans. Une histoire rassurante, et envoûtante : le paradis, ce serait donc possible ici ? Les noms eux-mêmes évoquent l’utopie dans ce qu’elle a de plus littéraire : les Iles d’Or, le village Héliopolis… On s’embarque pour le Levant comme les poètes s’embarquaient pour Cythère. On vogue vers un fantasme de pureté. On s’y voit déjà, enfin rassasié… 
Et bien sûr cet idéal n’existe pas. Rien n’est parfait. Même nu, le corps garde sa gravité. Même apaisés, les humains ne sont jamais totalement innocents. Au Levant on vit. Et ce n’est pas le paradis.
Guy Thouvignon a depuis longtemps élu domicile sur cette île minuscule. Avec son appareil à images il est devenu au fil des années le reporter incontournable des aventures de la communauté naturiste. Il propose à tous ceux qui le souhaitent de vivre l’expérience unique d’un « portrait levantin », séance de photographie d’art avec comme toile de fond l’ambiance et les décors uniques du domaine d’Héliopolis. On peut voir ses portraits un peu partout sur l’île ou les retrouver dans de très beaux livres à édition limitée. Ce sont des images toujours tendres, douces au regard, qui disent la variété des corps et en même temps leur très commune humanité. La réalité est certes enjolivée par la mise en scène et le lumineux travail de l’artisan imagier mais toujours domine l’essentiel : la vérité et l’innocence des corps en liberté.
Parfois, bien sûr, c’est le photographe qui choisit le modèle et le lieu. Il y a des rencontres qu’il faut savoir provoquer. Et cela peut donner des miracles visuels comme cet art à la fois si simple et si compliqué peut nous en offrir. 
Un exemple, en noir et blanc. Une femme est appuyée contre un mur, pas tout à fait nue, un peu de dentelle posée sur sa poitrine et nouée sur sa taille. Un grand chapeau de paille cache son visage, ses pieds sont glissés dans des mules à talons. Tout autour, c’est l’été. Sur le mur, juste à côté de la femme, l’ombre massive d’un très vieil olivier. Au fond, un autre mur blanc et une trouée rectangulaire sur d’autres arbres : la nature est un tableau. Et puis un seul pot sur la terrasse, deux marches d’escalier, deux nœuds de dentelle, devant et derrière, d’autres nœuds sur les chaussures, l’ombre ovale du chapeau rond, et cette main plaquée sur le mur… Et puis, encore, toutes ces verticales, horizontales, diagonales, que tracent les murs, le parapet, l’escalier, les ombres sur le sol, toutes ces lignes droites qui encadrent la femme et toutes ses courbes. Tout se tient. Tout se complète. La fragile tension de la jambe et la solidité de la pierre usée, la jeunesse du corps et le grand âge de l’arbre, la blancheur du mur et le hâle de la peau, la rondeur du chapeau et celle du sein sous le tissu, les motifs sur la paille tressée et le petit dessin sur la peau tatouée… 
Nulle tragédie sur la scène de ce théâtre méditerranéen. L’ombre du temps qui passe, sur le mur, ne menace pas les formes frêles de la femme. Le vieil arbre encore vert nous rappelle la vigueur de son tronc et la finesse de son feuillage. L’héroïne masquée garde son mystère mais nous dévoile généreusement l’abondance de son corps qui est l’éternité de la beauté. Le geste, l’appui, la position, peuvent évoquer offrande ou attente. Il y a du désir dans l’air chaud de l’été, mais l’érotisme est aussi léger qu’une petite brise marine venue de la mer toute proche. Seul le soleil provençal, amant invisible, caresse cette peau parfaite…
On pourrait continuer encore longtemps. C’est le propre d’un chef-d’œuvre : susciter le commentaire, à l’infini. Arrêtons là pourtant. Laissons parler l’image d’elle-même. Laissons-nous bercer un moment par cette illusion. Et réjouissons-nous que des attrapeurs de lumière nous fassent parfois ainsi croire à une forme d’idéal. L’été, finalement, n’est peut-être jamais totalement perdu… L’utopie existe, en images. 
Guy Thouvignon est un photographe utopiste.

Yves Gerbal, 17 janvier 2018.
#iledulevant
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