Héloïse Martin (Mérard)'s profile

L3/P3 : Changer de perspective


Explication de l’installation

L’installation
L’installation se compose d’une construction de trois cubes de mêmes dimensions, à savoir 1m50x1m50x1m50. Ces trois cubes seront disposés les uns à cotés des autres, linéairement, au centre de la pièce.

Matière
Ces trois cubes seront en plexiglas transparent. Le choix de la matière et de la couleur n’est pas anodin. Le plexiglas renvoie à l’industrie, et la couleur transparente renvoie à ce que l’on voit ou que l’on ne voit pas, ce qui prendra son sens par la suite.

Lieu
Le lieu de l’installation est au sein de la petite salle de la Gaité Lyrique. La Gaité Lyrique est un lieu de création dédié aux arts numériques. Ce lieu a été choisi pour deux raisons. D’une part, parce que leur petite salle est idéale pour accueillir cette installation. Elle est effectivement parfaitement rectangulaire et close, d’une taille satisfaisante, ce qui sera vu dans la partie 2. D’autre part, la Gaité Lyrique est un lieu possédant une histoire assez incroyable. La Gaité Lyrique fut à l’origine un théâtre construit au XIXe siècle. Elle fut alors démolie en 1987 afin d’y construire un parc d’attraction pour enfant appelée « Planète Magique ». Il ne reste alors de l’ancien théâtre qu’une salle italienne au deuxième étage. Ce parc fut fermé quelques semaines après son ouverture. Ce lieu fut alors durant plus de vingt ans un lieu défiguré et oublié. Puis fut alors construit la Gaité Lyrique, lieu de création dédié aux musiques actuelles et aux cultures numériques. Cette histoire est très importante pour moi, car elle rend la Gaité Lyrique unique. Un lieu qui a su revivre, se réinventer, se transformer. Telle une figure mythique qui par syncrétisme, au fil des époques, a survécue. Une « image survivante » dirait A. Warburg. Et cette caractéristique accompagne alors parfaitement l’idée et le sens de l’installation. Un lieu, mais aussi n’importe quel objet, est toujours chargé d’une histoire. C’est un « monument » comme le dit Riegel. Et il faut toujours chercher à comprendre son histoire.

C’est quoi l’idée ?

L’idée est le résultat du fait que spontanément nous chercherions à définir ces trois cubes et à les comparer entre eux

A première vue, bien qu’ayant la même forme, et les mêmes dimensions, ces trois cubes sembleront différents par leur contenant. En effet, le premier sera constitué de 100% de matière, ce qui reviendrait à dire que le cube est « plein ». Ce cube sera donc un cube de plexiglas. Tandis que les deux autres cubes n’auront que leurs parois en plexiglas. Il n’y aura donc à l’intérieur de ces deux cubes, que de l’air, ce qui reviendrait à dire que les cubes sont « vides ».

En comparant ces trois cubes, on pense donc immédiatement que le cube « plein » est différent des deux cubes « vides » et que les deux cubes « vides » sont identiques.

L’idée vient du fait que cette réflexion est fausse

Or, les deux cubes définis comme « vides » peuvent être considérés comme « pleins » car contenant de l’air, donc des atomes  (oxygène, carbone, azote…) mais aussi des poussières, des bactéries… Tout ce qu’on ne peut pas voir à l’œil humain. On ne peut donc plus donner une seule définition ou attribuer un adjectif unique à ces cubes. Alors, la comparaison n’est plus si simple. Le cube « plein » devient semblable aux cubes dits « vides ». Quand aux deux cubes « vides », puisque contenant des éléments différents, ils deviennent différents entre eux.

L’idée est alors de questionner ce que nous voyons et ce que nous ne voyons pas

Lorsque nous voyons ces trois cubes, du fait que nous ne voyons rien dans les deux cubes, nous pensons qu’il sont vides. Or, ce raisonnement n’est pas forcement vrai car il est le fruit de notre culture. En effet, notre culture occidentale, rationnelle, nous a appris que ce que nous ne voyons pas, n’existe pas. D’où l’adage « il faut le voir pour le croire ». Nous avons besoin d’avoir une preuve matérielle visible afin d’accepter que quelque chose existe. Pourtant, bien que nous ne voyons pas la lumière, c’est bien elle qui permet aux objets qui nous entourent d’être colorés. Mais nous allons penser que tel objet a comme caractéristique et comme essence telle couleur, bien que sa vraie caractéristique soit en réalité le degré de réflexion de la lumière blanche. Notre culture fait que nous essentialisons et naturalisons les définitions. De même, si nous ne pouvons pas entendre certains sons, ils nous entourent et nous traversent malgré tout. Pourtant, puisque nous ne les entendons pas, nous considérons qu’ils n’existent pas.

L’idée est donc de déconstruire nos évidences

Penser que le cube est plein et les deux autres sont vides était une évidence. Tellement évident, qu’il ne nous viendrait même pas à l’idée de la remettre en doute. En effet, comme toute évidence, elle semble naturellement vraie et donc le doute ne s’installe pas. Une évidence est une certitude. Pourtant, une évidence n’est pas une réalité naturelle, mais une réalité construite socialement. Bien que naturellement, nos capacités humaines ne nous permettent pas de voir, d’entendre ou de sentir certaines choses, c’est notre culture qui nous apprend que ce que nos 5 sens ne peuvent pas ressentir est alors inexistant. Il est effectivement très difficile de voir ce qu’on ne peut pas voir. On ne peut alors que l’imaginer. C’est ce qui est propre à l’artiste selon Peirse. L’artiste a selon lui  une vision particulière et différente, car il arrive à percevoir l’invisible grâce à son imagination. Friedler dira quand à lui, que le don de l’artiste est surtout de réussir à exprimer, à communiquer ce qu’il voit de différent.

L’idée est finalement de regarder différemment
D’avoir une nouvelle perspective

C’est pourquoi, c’est le titre de mon installation. Avoir une nouvelle perspective. Pour cela, il faut donc questionner, critiquer et déconstruire notre regard, notre façon de penser, et donc notre culture. Et ainsi, reconstruire, en ayant cette fois, une perspective qui nous est propre, et qui nous est non plus imposée culturellement sans qu’on ne s’en rende compte. Il est nécessaire d’avoir une vision et une perspective indépendante et autonome. Une perspective signifie une façon de voir. En effet, nous ne voyons pas l’installation de la même manière si nous la regarderons de haut, de bas, de loin, de près… 

Dans l’art, la perspective est une technique qui est le symbole d’une transition importante. A la Renaissance, la peinture, grâce à la perspective qu’elle utilise, passe des arts mécaniques (inférieurs) aux arts libéraux (supérieurs). De plus, à cette même époque, le statut de l’artiste se détache du statut de l’artisan. Un artiste dans un premier temps savant, qui réussi la perspective grâce à de nombreuses équations. Pourtant, il a existé de nombreuses autres perspectives. La bifocale, la cavalière, signifiante,  la fish-eye, pour n’en citer que quelques unes… Francastel pose alors cette question : notre perception de la réalité par l’art aurait-elle été différente et modifiée, si la perspective utilisée avait été autre, que celle que nous connaissons (la perspective monofocale centrée) ? 

Une perspective permet de voir la réalité sous un certain angle. Ce qui est alors enrichissant et intéressant, c’est de ne pas avoir qu’une seule et unique perspective, mais plusieurs. De plus, il ne faut pas avoir uniquement la perspective commune et socialement partagée, mais aussi en avoir d’autres qui nous sont propres et personnelles. Nous avons besoin d’une perspective commune afin de se faire comprendre et donc de vivre ensemble, mais il est important aussi d’en avoir d’autres personnelles. La perspective, si elle est en général spatiale, peut être aussi mentale. C’est le cas de l’enfant qui va représenter le soleil et les nuages avec des visages, ou qui va s’imaginer un cheval avec un bâton de bois (pour reprendre la forme utilisée par Gombrich). En grandissant, culturellement, nous nous sommes focalisés sur une unique perspective, commune et rationnelle : ceci est un bâton de bois. Et pourtant, la psychanalyse montre que ce n’est là qu’une perspective consciente. Comme le démontre la Gestalt Théorie, il y a toujours dans une image plusieurs perspectives possibles, c’est à dire plusieurs formes et significations possibles : nous pouvons voir deux ombres noires en profils mais aussi un vase blanc.

C’est l’objectif de cette installation : déconstruire nos évidences, afin d’obtenir d’autres perspectives que celle socialement partagée et acceptée. Cela dans le but de développer notre esprit et notre regard critique, sur le monde et sur la société, dans laquelle nous vivons. Car il n’existe pas uniquement un monde, mais bien plusieurs mondes ; et cette diversité, cette multiplicité n’est pas négative mais au contraire des plus enrichissantes.

Le fait de réussir à penser le multiple permet alors l’ouverture d’esprit et d’éviter l’ethnocentrisme. Dans toute société et culture humaine, nous pensons et réfléchissons forcement par rapport à notre culture, à nos valeurs, à nos normes et à nos codes. Bien que cette réaction soit spontanée, tel un reflexe, il est nécessaire de pouvoir penser autrement que dans sa propre culture ; et surtout ne pas penser que ce qui est différent de sa culture est forcement faux et inférieur. Réussir à penser d’autres perspectives permet donc une certaine ouverture d’esprit envers les différentes cultures. Cela permet d’accepter que bien que nous partagions le même monde, nous pouvons le voir et le vivre différemment, sans que cette différence nous éloigne voire clive totalement. 

Cette installation a donc une portée sociologique et anthropologique très forte, puisqu’elle nous invite à remettre en question nos évidences, et donc la culture dans laquelle nous vivons. Elle a aussi une portée psychologique et philosophique importante. C’est pourquoi, il y aura sur les murs de la salle, des mots, des concepts, qui seront là en tant que signes pour guider le spectateur dans sa réflexion. Cette réflexion doit être opérée spontanément et volontairement par le spectateur, et c’est pourquoi il n’y aura pas d’explication donnée formellement. Car il n’existe jamais une seule explication, une seule interprétation. L’interprétation se doit d’être individuelle et personnelle, puis lorsqu’elle sera partagée et communiquée, deviendra sociale et collective. C’est tout l’enjeu de cette installation : que le spectateur se pose des questions sur ce qui lui semble évident. Qu’il cherche à comprendre ce qui l’entoure dans cette salle. C’est pourquoi il était important d’installer cette œuvre dans une salle close, afin d’éviter les interférences à sa réflexion (comme cela aurait été le cas avec une installation en extérieur, avec les bruits des voitures par exemple). Au contraire, cette salle reculée est un espace propice afin d’inviter le spectateur à la réflexion voire à la méditation. De plus, l’objectif étant pour lui de déconstruire ce qui l’entoure, la salle permet de cadrer cette déconstruction. Cette salle permet de ne pas tomber dans un modèle totalement sceptique. En effet, cette installation ne prône pas le doute absolu et l’impossibilité en aucune croyance et science, mais invite à l’esprit critique. Le premier pas est alors de commencer par interroger et déconstruire ce qui l’entoure dans cette salle.

Pour guider le spectateur à cela, chaque pan de mur de la salle sera un nuage de mots, un nuage de concepts. Ces concepts seront alors à relier entre eux par le spectateur, tels des fils imaginaires, avec pour point d’attache l’installation au centre de la salle. Ces concepts liés permettront au spectateur de comprendre les grands thèmes et les grandes questions soulevées et à soulever par l’installation. Ces concepts seront aussi à déconstruire et à problématiser par le spectateur, afin de comprendre les effets qu’ils produisent dans leurs usages.
-  Le premier pan sera celui de l’anthropologie. Les termes associés seront les notions et concepts de « culture », « différences » et « chercher ».
-   Le second pan sera celui de la sociologie. Anthropologie et sociologie sont liés et il n’y a qu’un pas pour rejoindre l’une ou l’autre discipline. Les termes associés seront « société », « regards », et « comprendre ».
-  Le troisième pan sera celui de la psychologie. Avec pour termes associés « moi », « pensées », et « être ».
-  Enfin le dernier et quatrième pan sera celui de la philosophie. La philosophie est ici totalement solidaire aux sciences humaines. Elle est la discipline qui relie les trois pans entre eux et qui crée le cube en tant que quatrième paroi. Ce pan de mur est aussi celui où il y a les deux portes. Ces portent signifient que cette salle, contrairement aux trois cubes en plexiglas, n’est pas close, mais qu’il est possible d’y entrer et d’y sortir. Cela symbolise le fait que ces disciplines permettent d’entrer dans des notions complexes et de sortir de ses évidences, de ses préjugés. Pour cela, il faut alors utiliser les termes associés à la philosophie : « questionner », « critiquer », « communiquer »

Nous allons donc donner un exemple de réflexion et connexion des différentes disciplines et concepts, afin d’expliquer l’installation sous son angle anthropologique, sociologique, psychologique et philosophique.

Les liens entre ces quatre disciplines  

La métaphysique a pour tradition de rechercher la Vérité.
C’est une quête humaine que de chercher à comprendre ce qui nous entoure et pourquoi « cela se passe comme cela ». Depuis l’Antiquité, c’est alors la fonction des mythes. Ils sont étiologiques car ils cherchent à expliquer le monde et ses causes, dans le but de mieux le comprendre et ainsi de le maitriser. On constate donc qu’une relation entre savoir et pouvoir existait déjà. En effet, les Anciens pensaient que pour avoir du pouvoir, il fallait connaître l’origine. C’est pourquoi, le terme grecque « principium » est si ambivalent, signifiant aussi bien ‘commencement’ que ‘commandement’. Il ne faut alors pas oublier que ces mythes avaient une valeur religieuse. La religion a donc elle-même une valeur étiologique : elle est explicative et prescriptive. Cette quête universelle, a donc été tout d’abord recherchée via les mythes puis la religion. Par la suite, ce sera la philosophie qui se donna ce but, de comprendre le monde, en trouvant la Vérité. Puis, ce sera les sciences dans lesquelles tous les espoirs seront tournés. 

Et quand est-il alors de l’art ? L’art aussi recherche la Vérité dans le modèle classique. Elle permet selon Aristote d’améliorer et d’embellir la réalité. Ces discours sont alors idéalistes. La Vérité existe en tant qu’idée et elle fait donc partie du monde intelligible platonicien. Pourtant, depuis le 18e siècle, l’art s’inscrit dorénavant dans le monde sensible. Une sensibilité qui avec Baumgarten reste encore « une connaissance inférieure » à l’entendement, mais qui avec les empiristes anglais, gagnera toutes ses lettres de noblesse. En effet, dans cette installation, l’objectif n’est donc pas de comprendre la Vérité. Car comme le dit Nietzsche, la Vérité est quelque chose de mortifère, car en la recherchant désespérément, on passe à coté de la Vie. Car cela reste la recherche d’une idée, méprisant alors le sensible, le corps, et donc la vie. 

Cette installation, en proposant de déconstruire notre regard, n’est donc en rien une métaphore de cette quête universelle de la Vérité. Au contraire, elle remet en question la ou les Vérité(s). Car comme le dit Nietzsche, dans un de ses aphorismes posthumes, « Nous avons l’art pour ne pas mourir de la Vérité ». Voici dans quelle perspective il faut donc appréhender, regarder, et comprendre cette installation. Non pas comme un symbole de Vérité, mais bien comme une manière de déjouer la Vérité, car l’art permet de déjouer le langage. Il n’y a donc pas recherche de savoir, ni de pouvoir, à l’instar de Foucault, dans cette œuvre.

Cette œuvre ne nous invite pas à savoir, ni à connaître ; mais à questionner, interroger, et critiquer.
Elle nous invite à avoir une démarche critique et un esprit sceptique. On peut alors ici faire le lien avec Descartes, qui le premier a utilisé l’outil du doute, dans le but de connaître la seule certitude possible : le « je pense donc je suis ». 

Pourtant, toutes les certitudes sont finalement falsifiables car elles sont issues d’une interprétation. Et toute interprétation est le fruit et le résultat de la culture. Descartes ayant incorporé sa culture du sujet intègre et conscient, dès lors devenu une évidence pour lui, une Vérité, a finalement omis de déconstruire et de mettre à l’épreuve du doute  cette certitude, cette croyance, ce qui l’a conduit en erreur. 

Nietzsche dans "Par Delà Bien et Mal", explique en quoi cette certitude est fausse et pourquoi Descartes a été dans l’erreur. D’une part, Descartes a cru au principe de la causalité atomistique, en pensant que s’il y a une action unique ‘penser’, il y a forcement un sujet unique ‘je’. Or, ce principe de causalité est impossible à démontrer, il est alors considéré comme un postulat, un axiome, un a priori. D’autre part, Descartes a cru aveuglement au langage, sans s’en méfier. Si dans la grammaire française, une phrase se compose toujours d’un sujet + verbe + complément, cela n’est en rien une preuve de véracité. La réalité peut se composer d’autres structures, d’autres schémas. Verbe et sujet ne sont pas forcements solidaires. C’est pourquoi, Nietzsche proposa alors la formule « ça pense ». 

Cet exemple montre bien comment chaque certitude, même celles qui semblent les plus fondées, peuvent être déconstruite. Par la suite, Freud, philosophe du soupçon avec Nietzsche et Marx, déconstruira aussi ce sujet intègre et unique, conscient et maître de ses actes ; en démontrant l’existence d’une partie inconsciente, et en divisant le « moi » en trois entités : le « Moi », mais aussi le « Ca » et le « Surmoi ». Ce questionnement n’est pas uniquement philosophique. Mary Douglas, anthropologue, a aussi remis en question le « moi » unique qui reste encore, malgré Nietzsche et Freud, la version dominante de l’identité dans notre culture occidentale. La possession, le fait d’avoir plusieurs « moi » en une seule personne, semble alors aux yeux de l’Occident totalement irrationnel, absurde et impossible. Pourtant, Mary Douglas montre qu’il existe des contradictions et des paradoxes au sein même de notre culture occidentale. Bien qu’en affirmant que le « moi » soit intègre, unique et responsable, ce qui permet alors à l’institution judiciaire de juger les actes ; le système judiciaire français, par exemple, accepte le crime passionnel. Notre société française, avec tout son héritage rationnel et cartésien, semble alors donner crédit au fait que la passion puisse primer sur la raison. 

Finalement, toutes les cultures sont composées de contradictions et de paradoxes. C’est pourquoi, cette œuvre invite à penser ces contradictions et non plus à les fuir.

Cette œuvre invite, tel l’anthropologue, à penser le chaos, l’accidentel et le non-sens.
Car c’est bien là l’un des rôles de l’art : pouvoir apercevoir, sentir, toucher le non-sens. C’est ce que Menke exprime par « une expérience de la négation », ou encore Richter comme « une création de l’incompréhensible ». 

Et c’est pourquoi nous nous référons autant à Nietzsche. Ce philosophe n’a pas cherché, par un système, à clarifier et synthétiser ses idées en de l’unique. Il a au contraire, cherché à penser le multiple, le contingent, le contradictoire, d’où l’utilisation de ses aphorismes.   

Cette œuvre, qui semble si conceptuelle et minimaliste, pourtant ne prône donc pas l’unicité et la simplicité. Ce n’est en effet qu’un masque, qui doit être démasqué (comme la philosophie nietzschéenne démasque) et qui doit être creusé en profondeur. En effet, notre monde, dans le but de pouvoir vivre ensemble, a été simplifié, a été catégorisé. Nous sommes passé du Chaos primitif au Cosmos. Car le Chaos n’est pas vivable pour l’Homme, et ne permet pas de créer une société, car dans une société, il faut de l’ordre. 

C’est alors ce que symbolise ces cubes : ils symbolisent toutes les catégories que personnellement et collectivement nous donnons à ce qui nous entoure. Cela est nécessaire et donc positif, car comme nous l’avons dit, nous avons besoin pour vivre ensemble, vivre en société, d’avoir une réalité commune. Le commun est alors possible grâce aux 5 sens que nous partageons tous, et qui sont les médiateurs entre ce que nous percevons et ressentons de la réalité. 

C’est l’une des deux significations que formulera Kant avec le « sens commun », en tant que sens sensoriel, partagé par tous, qui permet alors de créer un monde commun. Car si le monde existe, c’est parce que nous le partageons et parce qu’il nous est commun. Cette œuvre est donc perçue universellement par tous : tout le monde perçoit trois cubes ; car nos formes pures a priori du temps et de l’espace nous permettent de spatialiser et temporaliser communément la réalité, ici cette salle. Ces formes a priori étant universellement en nous, l’œuvre trouve alors son universalité dans sa vision. Mais vision et représentation ne sont pas corrélées, comme le revendique Baxandall. En effet, bien que notre vision soit universelle car biologique (nous possédons tous les mêmes yeux et ils fonctionnent universellement de la même manière), malgré tout, nous ne voyons pas les mêmes choses. 

En effet, pour décrire ce que nous voyons, nous passons par le langage. Et c’est alors que nous retournons dans un modèle idéaliste, car le langage est un système de signes qui fait sens, avec un signifié et un signifiant, selon la linguistique structurale inaugurée par Ferdinand de Saussure. Ces signes sont donc corrélés arbitrairement à des idées. Or, ces signes sont réalisées collectivement et socialement, et ne sont alors partagés qu’uniquement par une communauté. Par exemple, si nous avons un seul mot pour désigner la neige, les Inuits en ont 15 différents. Nous voyons tous la même neige et pourtant les Inuits en distinguent 15, ce qui montre qu’ils ont une réalité différente de la notre, puisqu’ils arrivent à percevoir des neiges différentes. 

La vision serait donc apprise, notre regard serait formé, à nouveau dans la perspective de Baxandall. Ce regard est en effet formé par la culture, par l’éducation et par les connaissances pouvant être apprises. Par exemple, un coloriste pourra, grâce à un apprentissage, percevoir des nuances de couleurs très fines. Les 5 sens, bien que nous les partageons tous, se forment et donc s’éduquent, et cela a pour conséquence, une possible perception personnelle de la réalité. 

La réalité est alors socialement partagée mais vécue individuellement. Et cette œuvre invite alors à remettre en question la réalité transmise socialement, afin que nous ayons une perception individuelle, propre et singulière.

Cette œuvre a donc de nombreuses caractéristiques kantiennes
puisqu’elle prône le « sens commun », ainsi que les a priori de l’espace et du temps comme structures universelles du monde et de la réalité. Il y a aussi dans cette œuvre, un jeu entre les facultés de l’entendement et de l’imagination. 

L’imagination face à cette œuvre permet d’entrapercevoir ce qui ne se voit pas, et l’entendement permet de cadrer cette expérience dans une situation spatio-temporelle. C’est ce jeu entre ces deux facultés qui permet alors le sentiment esthétique, le plaisir, puisque ce sentiment est libre car se trouvant dans un entre deux, équilibré entre raison et imagination. Nous nous imaginons ce que nous ne voyons pas, sur quelque chose qui existe et que nous voyons.  Nous imaginons un cube rempli, bien que notre vision nous montre un cube avec aucune matière à l’intérieur. Il y a donc un cadre, mais le reste est fantasmé.

De plus, il existe un certain désintéressement face à cette œuvre. Un désintéressement qui s’apparente à ce que Duchamps mentionne à propos de ses ready-mades, en tant qu’indifférence. En effet, l’objet ne suscite aucun désir, que ce soit d’appropriation ou de possession puisqu’il est totalement banal : un cube en plastique. Il est de plus dépourvu de toute utilité, puisque ces cubes n’ont été réalisés dans aucune finalité utilitaire. Ce ne sont ni des tables, ni des chaises, au vu de leurs tailles. Ce ne sont pas non plus des contenants, puisqu’ils sont clos. 

Enfin, il n’y a aucune signification morale, ce qui n’aurait pas été le cas avec d’autres formes géométriques, comme par exemple le triangle, symbole de la Trinité, ou le cercle, symbole de la pureté. Le cube a pour seul symbole la stabilité. Cette signification est tout de même importante puisqu’elle symbolise la rigidité et la fixités de nos évidences, de nos catégories, voire de nos stéréotypes. La forme close a elle aussi une signification, à savoir qu’il y a un intérieur et un extérieur, et que ces deux espaces ne communiquent pas entre eux, puisque le cube est clos. Il enferme donc ce qu’il contient, à savoir le nombre d’atomes et de poussière. Cela peut alors être interprété selon différents angles. 

Par exemple, la vision de l’art comme un monde clos, qui n’est pas ouvert sur le monde. En effet, il est intéressant dans le livre de Danto, Après la fin de l’art, de voir que l’exposition « High & Low Art » réalisée au MoMA en 1992 avait ouvert une fenêtre du musée, et que ce geste avait une valeur symbolique très forte. Cette fenêtre ouverte symbolisait le fait que l’art n’était pas hermétique à la société, et que « Là où il a une fenêtre, le monde s’infiltrera et l’art s’échappera ».  Ici ce cube clos, critique donc ce cloisonnement traditionnel de l’art. 

De plus, il symbolise aussi l’effet de cloisonnement causé par certaines catégories sociales, comme par exemple le stéréotype, qui exotisme faussement l’autre dans « un Autre » radical. Mais étant une création du « Nous », reste familier et donc rassurant. Pourtant, cette exotisation par le stéréotype, nie toute la diversité d’une culture, d’une population, d’une personnalité en lui attribuant une seule caractéristique. Cette critique a aussi été réalisée par Nietzsche, qui déconstruit les concepts langagiers, comme des structures unitaires et simplificatrices, occultant alors toute la diversité et la multiplicité du réel. 

Mais retournons donc à Kant. Cette œuvre est effectivement tout à fait dans la précaution du désintéressement kantien. Cela permet alors d’avoir une distance nécessaire face à l’œuvre afin de pouvoir éveiller son esprit critique. En effet, les œuvres qui hypnosent et absorbent totalement le spectateur, ne permettent pas à ce dernier d’avoir un recul et regard critique. C’est pourquoi, comme le dit Brecht, il est nécessaire d’instaurer une « distance psychique » entre l’œuvre et le spectateur, et cela est possible par l’ostranénie. L’ostranénie est un terme crée par Chklovski, qu’on peut traduire comme une représentation insolite, voire une défamiliarisation. 

L’œuvre ici semble tellement familière et banale qu’elle peut donc finalement devenir étrange. C’est cette finalité sans fin qui rend l’œuvre étrange car le spectateur comprend qu’il y a quelque chose à comprendre, mais qu’à première vue, il n’y a rien de compréhensible. La pièce étant en plus fermée, le spectateur se trouvera finalement lui même enfermé dans un cube, et donc enfermé dans ses propres évidences, dans ses propres catégories. C’est pourquoi certains pourront sentir cette ostranénie, cette « inquiétante étrangeté » selon Freud, c’est-à-dire le fait de ne plus reconnaître ce qui nous est familier. Cette ostranénie, cette étrangeté, pousse alors le spectateur à agir, par le jugement et la réflexion. Il le pousse, grâce à cette distanciation, à remettre en question le réel et donc à remettre en question ce qui l’entoure, ce qui pour lui est le monde.

Enfin, l’œuvre se positionne dans la perspective kantienne, d’être partagée et d’être communiquée. En effet, pour déconstruire nos évidences, il faut dans un premier temps le réaliser individuellement, mais aussi dans un second temps faire circuler notre jugement, nos réflexions, nos doutes et nos conclusions, afin qu’ils deviennent effectifs dans le réel. Ce qui est recherché par l’œuvre est de confronter ses différentes perceptions du monde, ses interprétations, ses jugements (esthétiques ou autres). C’est pourquoi, la salle sera accessible à plusieurs personnes en même temps. C’est en communiquant que nous enrichissons nos opinions et que nous pouvons penser le diverse et le multiple. L’acculturation est, en anthropologie, le fait d’emprunter dans chaque culture, certains aspects, afin de créer notre propre culture. 

Finalement, bien que la culture nous pré-conditionne, comme le montre ce cube, elle n’est en rien déterminante car nous bricolons, nous construisons, nous créons, notre culture, grâce aux échanges et aux rencontres réalisées au fil de notre vie. 

De même, notre identité et l’altérité sont des concepts à envisager comme le fruit d’un processus, d’une interaction, et donc sont changeant et mouvant. Tout comme nos idées, nos opinions, nos jugements, nos goûts ne sont jamais rigides, ni figés, mais se transforment. Et cette transformation est possible au contact de l’autre. C’est pourquoi, cette œuvre doit être partagée et communiquée, afin que la réflexion évolue, qu’un consensus soit trouvé. Ce consensus peut porter aussi bien sur le jugement esthétique de l’œuvre, mais aussi sur son interprétation, et finalement sur la représentation que chacun a de la réalité. C’est pourquoi, cette œuvre est kantienne dans le sens où elle ouvre à la discussion. 

Malgré que l’œuvre utilise des concepts, ces concepts sont à déconstruire. Il n’y a donc pas de preuves objectives, ni de Vérité à trouver. En effet, l’œuvre ne répond pas totalement à la catégorie de la quantité de Kant, à savoir un désintéressement sans concept, puisque l’œuvre est bien le véhicule de concepts identifiables, tels que le « vide », le « plein », ou encore les concepts écrits sur les murs comme « regard », « penser », «Eux », « Je », « Philosophie », « Anthropologie ». Cette œuvre reste donc conceptuelle mais elle utilise ces concepts dans le but de les déconstruire, de les interroger, et de les critiquer ; afin d’en comprendre profondément leur sens. Il existe une multitude de définitions à ces concepts (comme c’est le cas par exemple avec le terme « Philosophie », ou « critique »), et certains de ces concepts sont critiqués comme potentiellement falsifiables (par exemple la désignation de « Vide » vs « Plein »). 

Ces concepts de « vide – plein » sont aussi un clin d’œil à la critique kantienne réalisée à propos du dogmatisme, dans Critique de la raison pure, qui utilise selon lui des « concepts vides » car sans valeur empirique, tels que la liberté, Dieu et l’immortalité. De plus, tout comme Nietzsche, cette œuvre si elle se positionne sur l’ambivalence entre « le vide » vs « le plein », pousse finalement à regarder au delà des antinomies, au delà des dualismes de la langue. Il n’existe jamais un seul mot avec son opposé. 

L’œuvre montre au contraire, qu’il existe des ponts entre les antinomies, bien que tout semblent les opposer : le vide peut devenir plein et vice versa. Autre exemple, le laid devient beau à la période romantique, et le beau d’une certaine époque peut devenir laid à une autre. On comprend donc que ce n’est qu’une question de perspective, de point de vue, tout comme la fameuse phrase du verre « soit à moitié vide, soit à moitié plein ». Les deux sont possibles, tout dépend d’où nous nous positionnons et comment nous regardons, toujours en fonction de notre culture sociale et personnelle.



Annexe 1 : Inspirations artistiques

Pour réaliser mon installation, je me suis inspirée de deux courants[1] : l’art conceptuel et l’art minimaliste. Tout d’abord, je me suis inspirée du courant conceptuel car je suis partie d’une idée afin de réaliser mon installation : les évidences. C’est pourquoi, j’explique mon installation en posant la question « C’est quoi l’idée ? » car l’idée est fondamentale et primordiale donc la réflexion et la création de cette installation. De plus, mon installation se pose alors la question de « Qu’est ce que l’art ? » ou plutôt pour reprendre Goodman « Quand peut-on dire qu’il y a art ? ». Effectivement, mon installation ne réunit pas les conditions classiques d’une œuvre d’art. Il n’y a pas de savoir faire ou de technique qui pourrait justifier que ceci est une œuvre d’art. Il n’y a pas non plus utilisation des matériaux traditionnels tels que la peinture. Il faut alors comprendre que cette installation ne se pose pas la question de « qu’est ce qu’une œuvre d’art ? », mais est à l’inverse une œuvre qui soulève des questions et des interrogations.
De plus, je me suis inspirée de l’art minimaliste, car j’avais pour projet de réaliser mon installation avec des matériaux simples et peu nombreux. C’est pourquoi, je me suis inspirée du principe de l’économie des moyens. En effet, ce qui est central dans cette installation est le fait qu’on puisse s’interroger sur tout ce qui nous entoure, même les choses les plus banales, les plus économes, les plus petits, et les moins visibles.

Il y a alors certains artistes dans ces deux courants qui m’ont d’avantage inspirés.

Tout d’abord, Joseph Kosuth, avec son installation One and Three Chairs, m’a particulièrement inspirée au niveau des signes et leurs différents aspects possibles entre signifiant et signifié. En effet, Kosuth à travers son installation, invite le spectateur à s’interroger sur les signes qui nous entourent, que ce soit des signes langagiers ou imagiers. J’ai aussi été très intéressée par le fait qu’il utilise le principe de la définition. Mon installation s’en est donc inspirée, en invitant aussi le spectateur à interroger les signes qui l’entourent, même les plus banals comme un cube ou une chaise, et de s’interroger particulièrement sur la définition qu’ils en donnent.


Joseph Kosuth, One and Three Chairs, 1965

Il y a aussi d’autres artistes de ces courants qui m’ont influencés surtout au niveau de la forme. Pourquoi avoir choisi un cube ? Comme je l’ai expliqué, le cube symbolise la catégorie, le cloisonnement, la rigidité des stéréotypes, mais aussi la stabilité, un équilibre central. Le cube a été de nombreuses fois utilisé dans des installations d’art conceptuel ou minimal. Mais la différence qui réside dans mon installation, est que l’idée va au delà de la forme. L’idée est dans son contenant. La forme est la première chose que l’on voit d’après la Gestalt Théorie, ce qui explique pourquoi on pense en tout premier lieu : ce sont trois cubes, ils sont donc identiques. Ce sont leurs contenants qui permettent de les différencier. Pourtant cette différenciation est fausse, puisque le vide peut être considéré comme plein. Nous pouvons donc citer comme exemples d’artistes, ayant utilisé la forme du cube dans leurs installations conceptuelles et minimalistes :


Sol LeWitt, 5 Part Piece (Open Cubes) in Form of a Cross, 1966-1969



Robert Morris – Untitled (mirrored cubes), 1965.


Fred Sandback – Untitled, 1968

Carl André - Blue Belgica Field, 1989




Annexe 2 : Description imaginaire d’une rencontre entre un spectateur et mon installation.

Cette description prendra la forme d’une fiction narrative, où Emilie et Paul vont à la Gaité Lyrique.
Emilie aime beaucoup la Gaité Lyrique et c’est elle qui proposa à Paul de l’accompagner. Elle trouve en effet qu’il est très intéressant de faire des expositions avec son ami Paul, car ce dernier a toujours de très bonnes remarques et critiques à propos des œuvres.

Lorsqu’Emilie et Paul arrivent à la Gaité Lyrique, ils apprennent qu’il n’y a pas d’exposition programmée en ce moment. Un peu déçu, ils demandent s’il y a une exposition permanente. L’accueil leur explique alors qu’il n’y a jamais d’exposition permanente, mais uniquement des expositions temporaires au sein de la Gaité Lyrique. Mais qu’ils peuvent aller voir l’installation « Une autre perspective » qui se trouve en accès libre dans la petite salle durant une semaine, la nouvelle exposition commençant une semaine plus tard. Alors Emilie et Paul descendirent les marches de la Gaité Lyrique, Emilie en tête de marche connaissant les lieux, afin de rentrer dans la petite salle.
Emilie prévient alors Paul : « Tu verras, il y a toujours des choses incroyables dans cette petite salle, avec pleins de lumières, de sons, de vidéos… Tu ne risques pas d’être déçu ! »
Il entrèrent dans la salle. La lumière était d’une couleur bleutée.
Emilie dit alors tout de suite à Paul « J’aime beaucoup cette lumière, c’est assez apaisant tu ne trouves pas ? ».
Paul répondit que non au contraire, que cette salle lui semble bien étouffante et sombre. Ils commencèrent alors à regarder l’installation.
« Des cubes ? » s’interrogea Emilie. « C’est assez imprévisible comme installation, moi qui pensait rentrer dans une salle interactive, je suis un peu déçue de n’y voir que des cubes ».
Son ami répondit « Il n’y a pas que des cubes, mais aussi des mots ».
Emilie répliqua « Oui, et bien des cubes et des mots j’en vois tous les jours, donc cela n’empêche pas que je suis déçue ». Paul lui répondit « Ne te braque pas si vite, tu n’as pas encore cherché à comprendre l’installation. »
Elle répondit « Mais tu vois bien qu’il n’y a rien à comprendre, ce sont des cubes un point c’est tout. »
Paul : « Je pense au contraire que ce n’est qu’une apparence, il doit forcement y avoir quelque chose à comprendre ». Emilie : « Je vais chercher un papier d’explication, je reviens ».
Paul observa alors longuement ces cubes et ces mots en se demandant «Mais qu’est ce que l’artiste a bien voulu transmettre à travers cette installation ? En tout cas, ma curiosité a été piquée, et je ne partirai pas de cet endroit sans avoir compris. Bon, l’endroit est tout de même quelque peu trop confiné, mais c’est idéal pour réfléchir calmement ».
Emilie revient, avec une tête boudeuse. « Ils n’ont aucun papier explicatif à l’accueil. Et quand j’ai demandé si quelqu’un pouvait quelque peu m’expliquer, on m’a simplement répondu que l’intérêt est d’interpréter par soi même, et surtout de s’interroger. Ha ! Ca c’est sur, on s’interroge ! Moi je me demande, qu’est ce que ca fait là ? Franchement, tu ne penses pas que c’est un peu abusé, de mettre uniquement trois cubes totalement identiques dans une pièce, et dire que c’est de l’art ? »  Paul répondit : « Ce qui m’intéresse ce n’est pas de savoir si c’est de l’art ou non, mais de comprendre ce que cela signifie. Il y a forcement une explication. Et je trouve cela plutôt bien de laisser les personnes interpréter comme ils le souhaitent. » Emilie : « Ok, ok, interprétons. Je vois… trois cubes. Il y en a un qui est plein et les deux autres qui sont vides. Bon… Eh bien, c’est déjà pas mal de dire qu’il y en a un différent des deux autres. Non ? »
Paul : « Oui, tu as raison, la seule différence qu’on peut réaliser est à propos de leur contenant. Mais les mots doivent aussi avoir leurs importances. Il y a quatre disciplines qui sont mis en exergue : la philosophie face à nous, l’anthropologie derrière nous, la psychologie à gauche, et la sociologie à droite. Je pense que ces mots doivent être là pour nous guider… Le but de cette installation est forcement que nous comprenons quelque chose, mais qu’on comprenne quelque chose qui paraît à première vue incompréhensible. Je trouve ca super intéressant et toi ? »
Emilie : « Oui, maintenant que tu me dis ca, c’est vrai que ca semble plus intéressant qu’en entrant. Mais bon, je ne fais pas des études de philosophie et de sociologie moi, c’est une installation pour intellectuel enfait ! »
Paul : « Détrompes toi, nous faisons de la philosophie, de la sociologie, de l’anthropologie et de la psychologie tous les jours, sans forcement mettre des mots dessus. D’ailleurs, je pense que les nuages de mots sont liés à la discipline. Bien que je trouve que certains pourraient être liés à d’autres disciplines… Ha ! Mais ce serait donc ca, on pourrait relier les mots entre eux ! »
Emilie « Effectivement, cela a du sens. Je dirai que la psychologie c’est le fait de « comprendre » ce que « moi » « pensées ». »
Paul : « Et même, ce que je « suis », ce qui serait donc lié à la philosophie ».
Emilie : « En effet, cela devient sympa. Bon alors c’est quoi le rapport avec ces cubes, ils sont pleins ou ils sont vides, ok et quoi d’autres ? »
Paul : « Je crois que tu as trouvé, les mots importants doivent être « pleins » et « vides ». Là, nous avons les mots comme « déconstruire » et « critiquer ». Peut être faut-il déconstruire et critiquer ce qu’on nomme « vide » et « plein », qu’en penses tu ? »
Emilie : « Effectivement, si on y pense, les cubes ne sont pas vraiment vides, il doit y avoir de la poussière ou des bactéries dedans. Oui, je sais… On dit toujours que je suis un peu hypocondriaque mais… »
Paul : « Non mais tu as parfaitement raison ! Il doit forcement y avoir des choses qu’on ne voit pas dans ces cubes, rien que par exemple des atomes qui composent l’air ».
Emilie : « Tu pars un peu loin quand même avec les atomes.. »
Paul : « Oui, mais je pense que cette installation nous demande de justement de s’interroger sur ce qu’on ne s’interroge pas. Rien que le fait de dire, ce qui est vide, peut aussi être plein, tu as tout de suite essayé de te justifier. Mais c’est totalement vrai. Tu vois bien que tu philosophes sans t’en rendre compte ! »
Emilie : « Mouais, bon et donc que peut-on en déduire encore ? Qu’on ne croit que ce qu’on ne voit ? »
Paul : « Exactement. Je pense que c’est pour cela que l’anthropologie et la sociologie sont des disciplines qui englobent l’installation. Parce que notre culture nous a toujours apprise qu’il faut « le voir pour le croire », or tu viens justement de prouver le contraire ».
Emilie : « Oui tu as raison ! Mais dans ce cas là, il y a peut être plein de choses autour de nous, que nous ne voyons pas, mais qui enfait existent ? »
Paul : « Oui effectivement, cela devient un peu étrange… Si on commence à douter de tout, on est mal parti ».
Emilie : « Ecoute, on est dans une salle close, disons qu’on joue le jeu de douter de tout, uniquement dans cette salle. Comme ca on ne finira pas totalement fou.»
Paul : « Haha je suis d’accord. Mais tu ne trouves pas que cette salle devient alors, de plus en plus étrange ? Comme si tout ce qui nous entoure est entre réel et non-réel, entre sens et non-sens. Que tout ce qu’on pensait être vrai, être familier, devient alors faux et étranger. »
Emilie : « Eh non, je ne ressens pas du tout ca, je trouve ca plutôt drôle au contraire. Mais peut être que c’est fait exprès, que cette étrangeté fait partie de l’installation ? »
Paul : « Oui tu as surement raison… Tu vois, tu pensais au début que c’était sans intérêt ces trois cubes. Et finalement, en discutant, on se rend compte que ce qui est vide peut être plein ! »
Emilie : « Oui comme quoi, il ne faut pas avoir des préjugés. Mais cela paraissait tellement évident pourtant ! »
Paul : « Ha…! Tu mets le doigt sur quelque chose d’intéressant. C’est parce que nous avons des préjugés et des évidences, que nous n’avons pas tout de suite, remis en doute ce que nous voyons. »
Emilie : « Je comprends mieux alors la présence des mots comme « culture » et « société ».  Nous avons tous des évidences et des préjugés, dans toutes les sociétés et toutes les cultures… »
Paul : « Oui ! Mais ici, nous sommes là pour « comprendre », « chercher » et « trouver ! ». »
Emilie : « Et pour cela, il faut « critiquer » et « déconstruire ». »
Paul : « Oui tout à fait ! Tu vois nous avons fini par trouver la vérité ! »
Emilie : « Non nous n’avons pas trouvé ce qui est vrai, mais ce qui est faux en tout cas. »
Paul : « Haha tu m’as eu ! C’est vrai qu’il semble ne pas y avoir une unique vérité dans cette installation. C’est surement pour cela qu’à l’accueil on t’ait dit qu’il fallait interpréter par soi même et qu’il n’y avait pas d’explications écrites. Comme on dit « A chacun sa vérité ! »
Emilie : « Mouais, j’aime pas trop cette expression. Je trouve que dans cette installation, ce n’est pas à chacun sa vérité, mais plutôt à chacun son point de vue. »
Paul : « Hum… D’où le titre Changer de perspective, qui nous demande de changer de « point de vue » ». 
Emilie : « Effectivement, nous avons changé de point de vue sur ces cubes, en pensant que le vide pouvait être plein et donc être identique au plein ».
Paul : « Oula tu vas finir par me perdre. Mais effectivement, nous avons changé de perspective sur ces cubes, mais aussi sur ces mots, sur cette salle et en général sur cette installation. »
Emilie : « Je dirai même plus, sur le monde qui nous entoure ! »
Paul : « On s’était dit qu’on s’interroge uniquement dans la salle et pas en dehors. »
Emilie : « Oh… Mais tu vois, il y bien deux portes à cette salle. Cela veut dire qu’il faut bien qu’on en sorte. Et on peut s’interroger sans devenir sceptique de tout ».
Paul : « Oui, enfait cette exposition, nous a permit d’aiguiser notre esprit critique ».
Emilie : « Et notre « regard » critique ! »
Paul : « « regards » avec ‘s’, attention cela change tout ». 
Emilie et Paul sortirent alors de la salle en riant.
Paul : « Bon eh bien, gardons cet esprit critique pour « changer de perspective » ».
Emilie : « Oui, je suis d’accord, je ne verrai plus la Gaité Lyrique comme un lieu numérique et interactif, mais aussi un lieu où on peut s’interroger et critiquer. »
Paul : « Eh ! Pas trop de critiques pour autant hein ! »
Emilie : « Non au contraire, je te remercie de m’avoir aidé à voir autrement cette installation ».
Paul : « Merci à toi aussi, c’est toi qui m’a mis sur les pistes tu sais ».
Emilie : « C’est qu’on a bien collaboré alors !  En tout cas, je suis contente que pour une fois, on tombe d’accord à propos d’une œuvre ! »
Paul : « Et oui, c’est possible !!! Ce n’est qu’une question de perspective, on va dire… »
Et il repartirent de la Gaité Lyrique, en se disant qu’ils ont découvert quelque chose dans cette salle : à quel point en y sortant, le monde paraît contradictoire, plein de non-sens, mais surtout qu’il paraît multiple, divers et que c’est en cela que réside toute sa beauté.

L3/P3 : Changer de perspective
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L3/P3 : Changer de perspective

Dossier pour le cours de Julien Labail en Licence3 Information-Communication Création fictive d'une installation artistique sur le postulat de J Read More

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