Josiane Guilloud-Cavat's profile

Entretien avec Claude Lévêque

Publié dans Inferno Six-monthly n° 3.
Pourquoi as-tu choisi le dessin d’Hamza Aboudou pour réaliser le néon rouge sous la pyramide ?
Dans le contexte de la résidence que j’ai faite à l’école Pierre Budin, dans le quartier de la Goutte d’Or, lorsque le projet du Louvre s’est précisé, j’ai alors demandé à plusieurs enfants de l’école de dessiner un éclair. Celui d’Hamza était le plus approprié au projet, il permettait d’être traduit en trois dimensions. Le choix est venu de là, puisque l’éclair est visible de tous les côtés et qu’il n’est pas plat. Hamza a déjà réalisé des écritures et dessins pour plusieurs de mes néons.
Quelle a été sa réaction le soir du vernissage ?
Il était très content, très fier d’avoir participé.
L’œuvre  représente un éclair, une incandescence, un coup de foudre dans un ciel d’orage. Pourquoi cet élément-là ?
Pour le projet du Louvre, tant médiéval que là, j’ai longuement étudié certaines peintures, les allégories et les mythologies représentées. Le ciel d’orage, avec l’éclair foudroyant, est une composante des paysages de la Renaissance et du XVIIIe siècle. C’est aussi une représentation qui correspond au lieu sous la pyramide, à sa forme. Lorsque l’on est à l’intérieur, ou que l’on descend au sous sol, l’éclair se répercute sur les quatre parois.
Le rouge intense du néon pourrait être vu comme la couleur du sang. Je pense au tableau la Vierge Morte du Caravage, par exemple, où la souffrance et la mort sont indirectement évoquées par des drapés rouges.
Oui, c’est très juste de dire cela, j’aime beaucoup ce tableau. Mais plus que l’idée du sang qui circule dans les veines, là, il y a celle du feu, de l’incandescence et d’une fusion de lave. Le rouge de l’éclair est produit directement par le gaz du néon. Le tube n’est pas poudré, il n’est pas recouvert d’un filtre coloré, le néon est par lui même incandescent.
Ton intervention au Louvre se produit en deux phases. Peux-tu déjà dire comment le premier chapitre sous la pyramide rejoindra celui dans la partie médiévale du musée, en 2015 ?
Les deux phases sont complètement reliées et opposées. Dans la partie moderne, l’éclair est
un geste simple, radical, adapté. Un dispositif onirique, de l’ordre d’un parcours lui fera suite dans les salles du Louvre médiévales.
Le parcours entre les deux lieux formera t’il un récit ?
On ne peut pas révéler le projet à l’avance, il peut encore évoluer.  Mais  l’intervention se développera le long des remparts, qui sont aussi des fossés. Lors des Fouilles de la cour carrée du Louvre à Paris, en 1984, les bases du château enfouies ont été révélées. Le château est comme tronqué, immergé à l’intérieur des fossés, parce que sous terre. Cet univers particulier m’intéresse beaucoup, on se trouve face à une strate de développement de l’histoire. C’est aussi un lieu de fort passage puisque les gens qui circulent dans cet espace là entrent et sortent des salles de l’Egypte. Ceci a aussi déterminé les séquences, les choix de certains matériaux, les éléments de lumière et de représentations allégoriques.
J’avais déjà réalisé un projet dans le sous sol de la réserve des moules, au Musée Bourdelle. M’amuser face à un patrimoine comme celui du Louvre est encore plus complexe puisque il s’agit de l’histoire de la peinture ancienne. La question du patrimoine ne se pose pas dans des lieux industriels, privés, publics ou désaffectés. Au Louvre,  il n’y a pas de salles pour l’art contemporain. À part la partie médiévale, l’autre possibilité aurait été d’intervenir à l’intérieur des galeries, au milieu des œuvres, ce qui aurait été très contraignant, je ne l’ai jamais vraiment envisagé.
Quatre films que tu as choisis seront projetés en parallèles au Louvre. Pourquoi Inferno de Dario Argento où les protagonistes sont comme les figurants d’un cauchemar éveillé, piégés dans des atmosphères esthétiques et déréalisées qui aboutissent à des morts terribles?
Pour cette programmation, il a fallut réagir très vite. Je voulais faire un geste avec ces quatre films qui puisse fonctionner immédiatement. Il y a dans Inferno beaucoup de mon univers. Je l’ai relié avec trois films de Kenneth Anger, pionnier du cinéma expérimental qui m’a beaucoup marqué. Les quatre films compilent un monde féérique et inquiétant, ils font rêver et voyager les gens.
Ils les font aussi cauchemarder…
C’est une onde qui bascule entre la séduction et la répulsion, qui place le visiteur dans l’étrangeté. Tant dans les vieux films Puce Moment, Rabbit's Moon et Eaux d'Artifice de Kenneth Anger que dans Inferno, on se trouve dans une sorte de train fantôme.
Tu avais déclaré mixer l’esthétique de l’art minimal à celui de la fête foraine. Est-ce important pour toi de pervertir les codes de la « high culture » ?
L’art minimal est une forme de radicalité de positionnement qui m’a extrêmement intéressé. Ses positions, ses formes et ses matériaux sont pour moi une forme d’héritage. Mais je ne suis ni un artiste minimal, ni d’arte povera. J’emprunte à la réalité quotidienne des éléments directement identifiables qui peuvent être reliés au monde du spectacle et à des attractions foraines. Les questions de lumières renforcent encore cet héritage là et ce type de références m’éloigne de l’art minimal.
Aujourd’hui, l’art joue avec des codes d’immédiateté. On théorise autrement dans un monde turbulent, qui va vite. La réactivité n’est pas la même que lorsqu’on avait le temps de théoriser. Plutôt que de chercher à démontrer des choses, il s’agit de brouiller les pistes, de jouer avec les codes, les standards et de trouver des situations évidentes ou contrariées.
L’œuvre s’apprécie de préférence la nuit, ou au crépuscule. Pourquoi privilégies-tu les ambiances nocturnes dans la plupart de tes dispositifs ?
La lumière naît de l’obscurité, c’est plus efficace de jouer avec elle dans le noir. L’obscurité correspond aussi aux songes, aux rêves, aux apparitions oniriques et à l’état d’ambivalence dû aux sensations nocturnes, lorsque l’esprit bascule entre réalité et irréalité.
Comme tu le fais souvent, tu as donné à l’œuvre le titre d’un film.  Pourquoi avoir choisi  Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. DeMille ? 
Le titre est un clin d’œil à ce film que j’apprécie depuis que je suis gamin. Il convient doublement pour la pyramide de Ming Pei, que l’on peut voir comme un chapiteau et pour le Louvre, qui est le plus grand musée du monde. J’ai trouvé ce titre très rapidement, comme pour la Biennale de Venise, lorsque j’avais intitulé le pavillon Le Grand Soir. La Biennale de Venise, c’est un accomplissement, un passage. Cela m’amusait de jouer avec ce pavillon en l’intitulant Le Grand Soir, avec les doubles interprétations possibles de la mort ou de l’anarchie. Comment jouer avec ce type de lieu prestigieux, ultra consacré, où le monde entier passe et circule, comment essayer de s’en amuser ? Les titres Le plus grand chapiteau du monde et Le Grand soir sont circonstanciés à ces lieux où on se donne en spectacle. Ils ont toutes sortes de résonnances et l’une d’entre elle fait penser aux jeux du cirque. Ce n’est pas du tout comme quand j’interviens dans des espaces ultra confidentiels, comme le moulin de Scandaillac à Monflanquin, dans le Lot et Garonne où les gens peuvent rentrer à cinq ou à dix seulement. Au Louvre, ou à la Biennale de Venise, il y a un brassage de public considérable.
Comment est né le projet d’application iPad ?
C’est un projet de Nicolas Ledoux et de Jean-Luc Lemaire. Ce dernier était l’un des graphistes qui avait réalisé le catalogue de la Biennale de Venise et avec qui je m’étais bien entendu. Là, ils ont eu envie de faire une application encore jamais réalisée de cette manière là avec un artiste. Elle est très complète, avec des films, des sons et des textes. Ils étaient déterminés, ont travaillé avec Élie Morin mon collaborateur et je les ai laissé libres parce que leur approche était très juste, avec une bonne connaissance de mon travail. C’est une présentation simple, pas de l’ordre du gadget ou du jeu, ce qui donne un plus par rapport à un catalogue classique.
Propos recueillis par Josiane Guilloud-Cavat
Claude Lévêque
Sous le plus grand chapiteau du monde (part 1)
Jusqu’en automne 2015

Artiste invité Musée du Louvre
Pyramide du Louvre
Projet spécifique
www.claudeleveque.com
Entretien avec Claude Lévêque
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