Publié dans Espaces contemporains - Mai 2014
La rétrospective d’œuvres miniatures produites par la revue Parkett, l’exposition d’Alexandre Joly chez Rosa Turetsky, ou les ciels étoilés sur pastilles de gouache de Michel Grillet jouent la carte des petits mondes.
 
Les renversements d’échelles, courants dans les pratiques artistiques contemporaines, propulsent instantanément les objets dans la sphère de l’extraordinaire et du fantastique. Les mises en scène d’éléments monumentaux produisent sur le spectateur un effet physique, tout autant que mental. À l’inverse, les oeuvres miniatures jouent sur des aspects plus intimes. Comment les petits formats s’immiscent-ils dans le psychisme des visiteurs ?
 
Survoler Small is beautiful
Le concept éditorial de la revue Parkett est le même depuis trente ans. Dans chacune des deux parutions annuelles, trois artistes sont présentés par trois critiques d’art invités. Chaque artiste réalise pour l’occasion un multiple, produit en éditions limitées, qui dépassent rarement la largeur d’une main et la hauteur d’une page A4. Une sélection de quatre vingt œuvres miniatures, issues de ce processus, font actuellement l’objet d’une rétrospective itinérante intitulée Small is beautiful.
Dans l’espace d’exposition de la revue Parkett, à Zürich les œuvres sont présentées sur des socles blancs, d’autres sont accrochées au mur. Chacun des petits formats forme une sorte de concentré de la démarche de son auteur. Les univers respectifs des artistes sont, pour la plupart, immédiatement reconnaissables. Diverses œuvres sont de simples versions réduites de formes existantes, ou, comme des « signatures », caractérisent les méthodes de leurs auteurs. Par exemple,  A Portable Apocalypse Ballet (Red Ring, 2008) de Mai-Thu Perret, met en scène la célèbre « poupée mannequin » de l’artiste. Non loin, une sculpture en Perspex de couleur fluorescente (Sans-titre, 1997) de John Armleder est identique à celle monumentale, souvent présente au Mamco.
Une dimension plus ouvertement critique régit diverses propositions comme par exemple His mistress toy, (2000), une chaussure usagée de Sylvie Fleury à l’échelle 1 :1 qui souligne ironiquement le potentiel fétichiste du collectionneur. Beaucoup plus dramatique, Habeas corpus (2007) de Jon Kessler est composée d’une figurine tristement agenouillée, vêtue de l’uniforme des prisonniers du camp de détention de Guantanamo.
La composante fascinante de l’exposition Small is beautiful réside dans le point de vue à « vol d’oiseau » qu’elle offre au specateur. Celui-ci à la sensation d’être un géant survolant un univers codifié, étrangement rétréci.
 
Maisons de lutins
Alexandre Joly présente diverses facettes de son travail à la galerie Rosa Turetsky, à Genève. L’exposition monographique qui lui est consacrée comprend cinq type d’œuvres : un tableau sonore, une installation, des sculptures en marbre, des petits paysages tridimentionnels miniatures et des peintures.
Le parcours dans les trois espaces de la galerie se déroule un peu comme un conte de Lewis Carroll, ou un film de Hayao Miyazaki. Près de l’entrée, au rez-de-chaussée, California sunshine (2013), un grand tableau mural recouvert de haut parleurs piezos est animé selon un système de programmation par lequel le son et la couleur se métamorphosent dans une parfaite synchronicité. Le processus, à peine perceptible au début, devient progressivement hypnotique et opère comme un sas d’entrée vers le monde sensible proposé par l’artiste.
Au sous-sol, on pénètre dans un univers à échelle réduite où la présence de petits êtres surnaturels est suggérée, avant d’être matérialisée. Tout d’abord, cinq chaises pour enfants, disposées en demi cercle, semblent attendre les acteurs d’une Petite cérémonie (2014). Un élément en bois à l’état brut, pourvu d’un système sonore, est fixé au-dessus du dispositif. Dans la même salle, deux paysages miniatures en trois dimension sont présentés sous des cloches en verre, sur des socles en bois. Issus de la série Sacred Peanuts Island (2013), ils sont composés de lichen d’Islande et de cacahuètes en résine à l’échelle 1 :1, partiellement recouvertes de feuilles d’or. Là aussi, les compositions naines laissent supposer  de minuscules usagers des lieux. D’ailleurs, dans la dernière salle, ceux-ci semblent avoir pris vie dans les Petits totems protecteurs (2013-2014). Une vingtaine de créatures un peu fantomatiques, taillées dans du marbre blanc, privées de bouche, mais pourvues d’yeux en zircon, observent avec bienveillance ceux qui traversent l’espace.
 
Ciels minuscules
Depuis 1977, Michel Grillet travaille sur des pastilles de gouaches et depuis 2000, il n’utilise plus que la marque Caran d’Ache. Comme il l’explique : « Ce travail est une mise en abîme de la peinture, (gouache sur peinture de gouache), et s’articule autour de thèmes liés à la perception et à la mémoire du paysage. » Il peint sur ces supports de bleus variables, des petits paysages ou des ciels étoilés. Inutile de rechercher le site de l’artiste sur Internet, celui-ci est réticent aux reproductions d’œuvres qui circulent sur le réseau, et que finalement, le public ne se donne plus la peine de voir en vrai. Son travail remet d’ailleurs en question les écrans qui gèrent notre vie, comme il le précise :  « L’emploi systématique de l’horizontalité des pastilles fait référence par son format aux divers écrans et ainsi par analogie nous renvoie à la télévision, à l’ordinateur, au téléphone portable, aux tablettes, aux jeux vidéos… ». 
Josiane Guilloud-Cavat
Small is beautiful
Jusqu’au 17 mai 2014
Parkett exibition space, Zürich.
www.parkettart.com
 
Alexandre Joly
Jusqu’au 3 mai 2014
Galerie Rosa Turetsky, Genève.
http://www.rosaturetsky.com
 
Michel Grillet
www.mamco.ch/artistes_fichiers/G/grillet.html
Galerie Monica de Cardenas, Milan
www.monicadecardenas.com
Légendes  (de haut en bas) : 
Maï Thu Perret,  A Portable Apocalypse Ballet (Red Ring), 2008
Vue de l'exposition Small is Beautiful (2014). 
L'effet Gulliver
Published:

L'effet Gulliver

Comte rendu de l'exposition Small is Beautiful et de celles d'Alexandre Joly à la galerie Rosa Turetsky et de Michel Grillet.

Published:

Creative Fields