Gravitations
Experiments on the draw-organism mutated in extraterrestrial experience
 
Nocturne en plein jour
 
“Quand dorment les soleils sous nos humbles manteaux
Dans l’univers obscur qui forme notre corps,
Les nerfs qui voient en nous ce que nos yeux ignorent
Nous précèdent au fond de notre chair plus lente,
Ils peuplent nos lointains de leurs herbes luisantes
Arrachant à la chair de tremblantes aurores.
C’est le monde où l’espace est fait de notre sang.
Des oiseaux teints de rouge et toujours renaissants
Ont du mal à voler près du coeur qui les mène
Et ne peuvent s’en éloigner qu’en périssant
Car c’est en nous que sont les plus cruelles plaines
Où l’on périt de soif près de fausses fontaines.
Et nous allons ainsi, parmi les autres hommes,
Les uns parlant parfois à l’oreille des autres.”
 
Jules Supervielle, tiré de La Fable du monde (1938)
 
"Spectrum... Toi". Uryan Lozano
"Terraferma" Uryan Lozano. 
"Lucevan". Uryan Lozano
Et si nous regardions la vie par les interstices de la mort ?
 
Sous la chétive pesée de nos regards, le ciel nocturne est là, avec ses profondeurs, creusant nuit et jour de nouveaux abîmes, avec ses étincelants secrets, sa coupole de vertiges. Et nous vivrions dans la terreur de milliards d'épées de Damoclès si nous ne sentions au-dessus de nos têtes l'ordre, la beauté, le calme — et l'indifférence — d'un invulnérable chef-d'oeuvre. L'aérienne, l'élastique architecture du ciel semble d'autant plus faite pour nous rassurer qu'elle n'emprunte rien aux humaines maçonneries. Celles-ci, même toutes neuves, ne songent déjà qu'à leurs ruines. L'édifice céleste est construit pour un temps sans fin ni commencement, pour un espace infini. Et rien n'est plus fait pour nous donner confiance que tout ce grave cérémonial dans l'avance et le rythme des autres, cette suprême dignité, et infaillible sens de la hiérarchie. Etoiles et planètes, gouvernées par l'attraction universelle, gardent leurs distances dans la plus haute sérénité.
Je crois aux anges musiciens mais je les vois jouer d'un archet muet sur un violon de silence. La plus belle musique — disons Bach — tend elle-même au silence. Jamais elle ne le ride, ne le trouble. Elle se contente de nous en donner des variantes qui s'inscrivent à jamais dans la mémoire.
Tout ce qu'il y a de grand au monde est rythmé par le silence : la naissance de l'amour, la descente de la grâce, la montée de la sève, la lumière de l'aube filtrant par les volets clos dans la demeure des hommes. Et que dire d'une page de Lucrèce, de Dante ou de d'Aubigné, du mutisme bien ordonné de la mise en page et des caractères d'imprimerie. Tout cela ne fait pas plus de bruit que la gravitation des galaxies ni que le double mouvement de la Terre autour de son axe et autour du Soleil... Le silence, c'est l'accueil, l'acceptation, le rythme parfaitement intégré. (...)
 
Jules Supervielle, tiré de Prose et proses (Rythmes célestes)
Gravitations
Published:

Gravitations

“Quand dorment les soleils sous nos humbles manteaux Dans l’univers obscur qui forme notre corps, Les nerfs qui voient en nous ce que nos yeux Read More

Published:

Creative Fields