Emmanuel MARTIN's profile

Soeur à Soeur - Quartier un - Djibouti

Soeur à Soeur
De ces vies...

Je m’appelle Sabbah, et j’ai vingt-cinq ans.
Je suis née à Hargeysa au Somaliland, terre frontalière à la République de Djibouti.

Sabbah. Comme toutes les femmes qui vivent comme moi, au coeur du quartier un de Djibouti-ville,
ce n’est pas mon vrai prénom. Mon véritable prénom je le garde secret, précieusement, comme un dernier vestige de ce que je suis, comme un rempart contre la tyrannie des autres et de la vie. Personne ne pourra me le voler.

Je n’ai jamais rien choisi, pas même le fait de venir ici, à Djibouti. Ou peut-être si, une fois, j’ai choisi de fuir cette maison où des parents éloignés m’exploitait et me maltraitait. J’avais sept ans.
Une enfant.

A douze ans, le père Robert, qui m’avait recueillie au sein de son association “Portes Ouvertes”, s’en est
allé rejoindre son dieu. La rue a de nouveau été ma vie. Et la spirale infernale m’a happée, broyée, et ne m’a toujours pas relâchée.

Je m’appelle Sabbah, je vis dans une chambrette du quartier un de Djibouti-ville.
Ma jeunesse s’est envolée à cinq ans lorsque j’ai débarqué dans ce pays étranger. Ma situation d’aujourd’hui me permet de louer une chambrette de quatre mètres carrés. Ce n’est pas comme Ikram qui vit dans la rue avec son bébé, à la merci du premier venu. Pour Ikram c’était une grossesse non désirée, comme beaucoup d’entre nous. Elle n’a pas les moyens de se payer cette sécurité relative que représente ma chambrette, elle qui doit envoyer de l’argent à sa famille en Ethiopie. Sa famille et ses deux autres enfants en bas-âge restés là-bas comptent sur elle.

La propriétaire me loue ce semblant de toit pour l’équivalent de 4,80 euros par jour, une somme de 144 euros par mois. Une passe me rapporte entre 1,20 euro et 2 euros. Je n’ai pas le choix si je ne veux pas me retrouver dehors. Et il faut aussi que je mange et que je m’habille.
“Tu mangeras après avoir payé ton loyer !”, vocifère chaque jour ma propriétaire.

Je m’appelle Sabbah, et je suis séropositive.
Parfois, Fédéri, une amie prostituée du quartier me loue ma chambre le temps d’une passe. Fédéri me donne pour cela 40 centimes d’euros sur le montant de 1,20 euro de la passe. Pendant ce temps, je vais garder sa fille de 5 ans, car Fédéri et sa fille vivent dans la rue, elles aussi. La nuit, les prostituées vivant dans la rue, organisent des tours de garde pour veiller leurs enfants lorsque des clients sont là.

Je m’appelle Sabbah et je suis maman.
J’ai eu mes 3 premiers enfants entre 15 et 17 ans. Ils sont tous morts de maladie. Je les ai tous pleurés.
Ma fille, mon quatrième enfant, je ne la vois plus. La famille de son père me l’a retirée car je suis séropositive et une prostituée. Il ne me reste rien, juste mon prénom que je cache comme un unique secret que je ne vous dévoilerai jamais.

Je m’appelle Sabbah. Appelez moi comme vous voulez, mon vrai prénom je ne vous le dévoilerai jamais.

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